Le burn out syndrome (tratto da qui)

C'est en abordant la souffrance de l'enfant atteint de maladie grave ou chronique et de sa famille en réanimation et en pédiatrie, que nous avons été amené à considérer celle des soignants. Nous avons ainsi décou-vert le terme anglo-saxon « burn out syndrome », "épuisement profes-sionnel" en français, « kaloshi »(mort par la fatigue au travail) au Japon. Cette formulation imagée, inventée par des soignants pour des soignants, a vite été adoptée par les équipes comme outre atlantique.

L'image inspirée de l'industrie aérospatiale était suffisamment suggestive pour caractériser cet état. Burn out désigne "la situation d'une fusée dont l'épuisement de carburant a pour résultante la surchauffe et le risque de bris de la machine". Le concept d'épuisement avait déjà été posé en France par Claude Veil (1) dans les années 1950 permettant de décrire des manifestations "parti-culières qui ne ressemblaient à aucune autre et de comprendre des cas déconcertants qui n'entraient pas dans la nosographie classique".

L'impression est renforcée par les études quantitatives. Quelques soient les outils d'évaluation utilisés, grilles ou entretiens cliniques, 20 à 40 % des soignants sont en état d'épui-sement professionnel. 25 % des infirmières d'hôpitaux généraux, tous services confondus, souffrent dans leur travail et une sur deux a eu l'envie récente de quitter son poste même si 80 % d'entre elles sont et demeurent très motivées par ce qu'elles font (C. Rodary et Coll.-2- ). En réanimation pédiatrique, l'enquête nationale menée avec le groupe Réanimation et Psychologie en 1994 a révélé des taux de 41,3 % de population pédiatrique soignante atteinte d'épuisement professionnel.

Les difficultés apparaissent dès que l'on veut aborder le domaine de la prévention, peut-être à cause des multiples enjeux (psychiques) révélés par le syndrome. En effet, ce n'est pas l'identification de l'état final d'un soignant usé par le travail qui nous intéresse seulement, c'est surtout comment faire pour tenter de maîtriser ce qui parfois ressemble à une épidémie à haute contagiosité. Il y a là une responsabilité en terme de santé publique et un enjeu économique considérable. Les « psy » (psychiatres et psychologues) et les médecins du travail ne sont pas les seuls concernés, c'est l'ensemble de l'institution soignante qui doit s'interroger sur le phénomène.

Le Burn out apparaît comme un syndrome multi-factoriel et pluri-dimensionnel, à tel point que l'on peut se demander si une prévention ne relève pas d'une mission impossible.

Définition et signes cliniques du syndrome d'épuisement pro-fessionnel des soignants.

La définition du concept d'épuisement professionnel pourrait paraître simple tant l'expression américaine et sa transcription française semble claire. Les mots suggèrent d'eux-mêmes le syndrome. La popularité et la diffusion du terme montrent à quel point il est vécu et ressenti par des professionnels. Mais un tel constat ne suffit pas à consacrer la spécificité du terme ni à lui conférer une valeur scientifique. Le risque de confusion peut être aussi grand que l'en-gouement qu'il soulève. Il y a un risque à faire de l'épuisement professionnel un "fourre-tout" commode dans lequel viendront prendre place toutes les reven-dications professionnelles et/ou corporatistes. Il y a un risque de méconnaître de réelles pathologies psychiatriques dépressives, anxieuses, paranoïaques qui prendraient le masque d'un Burn Out et préten-draient n'être que cela. Il y a le risque d'en faire une maladie professionnelle ouvrant droit à une reconnaissance sociale et des compensations financières (mais pourquoi pas !). Il y a aussi un risque en élargissant à l'extrême le champ de ce que le syndrome d'épuisement professionnel peut couvrir, de perdre l'intérêt d'une approche particulière et originale de certains aspects en psychopathologie du travail.

Le terme Burn Out syndrome fait son apparition au cours de la décennie 70 aux Etats-Unis. C'est en tant que problème social et non comme problème théorique ou clinique qu'il naît quasi simultanément sur les côtes Est et Ouest. Le problème "était dans l'air" écrit W. Schaucheli (8). Le Burn Out était devenu un élément de la réalité sociale et c'est plus « par accident » que des chercheurs comme Christina Maslach (7) et des cliniciens comme Herbert Freudenberger s'y sont intéressés. "Je me suis rendu compte, écrit-il, au cours de mon exercice quotidien que les gens sont parfois victimes d'incendie tout comme les immeubles; sous l'effet de la tension produite par notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l'action des flammes, ne laissant qu'un vide immense à l'intérieur, même si l'enveloppe externe semble plus ou moins intacte".

L'étude de la littérature et l'expérience clinique ne permettent pas de donner au Burn Out une spécificité propre ni sur le plan symptomatique ni sur le plan des mécanismes psycho-pathologiques.

Les signes cliniques

Les signes cliniques sont des symptômes somatiques, psychiques et comportementaux variés. Leurs analyses critiques révèlent que ce sont des signes non-caractéristiques. Aucun d'entre eux ne permet une iden-tification du syndrome d'épuisement professionnel.

Ce sont des symptômes somatiques non-spécifiques comme la fatigue, des céphalées, des troubles gastro-intestinaux, des troubles du sommeil, des épisodes répétés et/ou prolongés d'infections rhino-pharyngées, grippales ou pseudo-grippales.

Il peut s'agir de signes com-portementaux inhabituels pour le sujet tels qu'une irritabilité, une sensibilité accrue aux frustrations, une labilité émotionnelle, une promptitude à la colère ou aux larmes indiquant une surcharge émo-tionnelle, une méfiance, l'installation insidieuse d'attitude cynique ou de toute puissance pouvant conduire l'individu à des conduites de risque pour lui-même ou pour autrui.

Des attitudes dites défensives ont été décrites comme une rigidité, une résistance excessive au changement, des attitudes négatives ou pessimistes, un pseudo-activisme masquant une inéfficacité au travail. Le sujet est amené soit à fuire le travail soit à passer encore plus de temps sur les lieux de travail tout en devenant sans s'en rendre compte, de moins en moins compétent.

Enfin pour « tenir le coup », le sujet peut être amené à faire usage d'alcool et/ou de psychotropes pour tenter d'obtenir une détente qu'il arrive de moins en moins à ressentir. L'évolution se fait vers un état de fatigue grandissant, des attitudes thérapeutiques de plus en plus inadaptées et inopérantes.

Cependant, le sujet fait de grands efforts pour tenir son poste dans un contexte peu gratifiant. Il peut même, paradoxalement, ne plus arriver à quitter un travail par ailleurs devenu une source de souffrance réalisant ainsi un tableau d'acharnement au travail.

D'autres sujets réagissent par un désir de changement, voire de fuite du travail qu'ils ne peuvent plus tolérer. On observe alors un absentéisme progressif et répété. Certaines catégories de personnel (les cadres, les médecins) vont eux, au contraire, manifester un "présentéisme" paradoxal. Des demandes de mutation peuvent parfois provoquer dans certains services de véritables hémorragies de personnel car le syndrome présente une assez grande "contagiosité". C'est ce qui en fait un des indices de gravité et son originalité sur un plan psycho-sociologique.

Les signes cliniques n'ont donc en fait rien de véritablement spécifiques. Peu d'éléments distinguent ces symptômes de la symptômatologie décrite dans la pathologie due au stress par H. Selye. On peut aisément lire dans cette description des tableaux plus ou moins complets d'un état anxieux, anxio-dépressif ou dépressif débutant.

Dans un souci nosographique, il n'est pas nécessaire que le syndrome d'épuisement professionnel soit une nouvelle catégorie diagnostique pour exister. S'il fallait le placer dans une cadre diagnostique, c'est la catégorie "troubles d'adaptation" qui conviendrait le mieux.

La mesure du Burn Out et la description du SEPS

C'est par une approche en extériorité que le syndrome d'épuisement professionnel s'est précisé. Maslach et Jackson en créant un outil d'évaluation, le M.B.I. (Maslach Burnout Inventory) (7), ont permis d'isoler une des caractéristiques fondamentales du syndrome d'épuisement professionnel. Elles ont défini ce syndrome selon trois critères :

  • l'épuisement émotionnel,
  • la déshumanisation de la relation à l'autre,
  • la perte du sens de l'accomplissement de soi au travail.

Le second critère (la déshumanisation de la relation à l'autre) est la pierre de touche du syndrome d'épuisement professionnel des soignants. En positionnant la relation à l'autre au centre du Burn Out, ce syndrome d'épuisement se trouve limité, certes, aux professions dites d'aide mais acquiert aussi toute sa spécificité. Le Burn out prend tout son intérêt quand on le considère comme un des aspects de la pathologie de la relation d'aide.

Quand la relation d'aide (ou thérapeutique) « tombe malade », la symptomatologie est celle d'un Burn out.

Les facteurs de risque

Les facteurs de risque corrélés avec le SEPS ouvrent autant de chapitres permettant une réflexion sur les manières de diminuer l'impact du travail sur les soignants. Les caractéristiques personnelles ont peu d'influence sur la sensibilité à l'épuisement professionnel. Plus les soignants sont jeunes, plus ils sont à risque de fatigue au travail.

Les études sur les personnalités des soignants atteints d'épuisement professionnel ne mettent pas en évidence de personnalité à risque. Elles permettent de définir des traits psychologiques (robustesse : "hardi-ness") ou des types de coping (manière de faire face possédant un lieu de contrôle interne) qui semblent protéger certains soignants des effets du stress. Les types de pathologies traitées ne déterminent pas à eux-seuls le niveau d'épuisement profes-sionnel des soignants.

En effet, l'organisation, l'ambiance de travail sont des facteurs très déterminants. Les conflits entre les personnes, le manque de soutien, les difficultés à communiquer, l'ambiguïté des rôles et la charge de travail font partie des facteurs les plus souvent retrouvés dans les enquêtes. Chacun de ces facteurs détermine autant de pôles de réflexion dans une optique de prévention ou de traitement de l'épuisement professionnel. Si l'approche quantitative ne suffit pas pour pénétrer au coeur du problème, elle est indispensable dans une perpective d'étude de la validité et de l'efficacité d'une approche préventive.

Enjeux et orientations possibles d'une approche préventive.

On peut envisager trois directions complémentaires.

La première direction est représentée par la relation d'aide. La valeur du syndrome d'épuisement professionnel est d'avoir remis au centre de la réflexion les difficultés de la relation d'aide et de l'analyse de la « bonne distance ». Il ne s'agit pas seulement de techniques d'approche psychologique mais d'un approfondissement de ce que la relation à l'autre implique de dimension éthique. La relation à l'autre est constitutive de notre humanité mais en même temps elle « ne va pas de soi » et présente des risques. C'est de ces risques dont il faut prévenir les soignants afin qu'ils ne se "brûlent" pas.

Nous avons défini le syndrome d'épuisement professionnel comme l'expression de la pathologie de la relation d'aide. Ce n'est pas tant dans son expression finale du soignant usé avec son cortège de symptômes physiques et psychiques que le syndrome apporte le plus. C'est en tant que processus psycho-pathologique qu'il est intéressant à étudier. Mais ce ne sont pas seulement des raisons psychologiques qui mènent au Burn out. Il n'est pas la description d'un mécanisme psychopathologique particulier, ni l'expression d'un type de personnalité. La particularité réside bien dans la question traitée : la relation soignante envers un autre dans sa dimension existentielle. C'est pourquoi si nous considérons le syndrome d'épui-sement professionnel des soignants comme d'abord une pathologie de la relation, il faut l'envisager aussi comme un phénomène d'ordre existentiel.

Poser ainsi le Burn out amène à faire plusieurs hypothèses :

  • Puisque c'est une pathologie liée à la fonction, elle peut atteindre des sujets normaux.
  • Il est même possible d'être en burnout sans manifestation symptomatique.

Le conflit intrapsychique lié à la difficulté d'être soi-même face à l'autre peut ne pas se présenter sous la forme "déguisée" d'un symptôme, mais être vécu consciemment et émotionnellement. C'est même un des objectifs de la prévention du Burn out que de permettre aux soignants de l'identifier avant d'être dans une maladie somatique ou psychiatrique.

  • En mettant l'accent sur la difficulté essentielle des soignants, la relation à l'humain, le syndrome d'épuisement professionnel permet la recon-naissance de la spécificité des professions de santé en particulier mais éclaire aussi d'un jour nouveau toutes les autres professions d'aide.
  • Enfin en montrant que la relation à l'autre peut tomber malade et faire souffrir, nous affirmons que rien n'est moins évident que d'aller vers autrui pour l'aider.

La deuxième dimension concerne une réflexion sur le plan de l'organisation du travail. Il est relativement facile de repérer les dysfonctionnements d'une structure hospitalière et les insuffisances de dotations en matériel et en personnel. Si les manques de moyens sont vite chiffrés en termes de budget, le coût de l'épuisement professionnel ne l'est pas. Il est vraisemblable que le Burn out a un poids économique important. Il serait hautement souhaitable d'en réaliser une évaluation. Il est source d'une moins grande efficacité, d'une rotation de personnel, d'un nombre important d'arrêts de travail et d'un retentissement sur la santé des soignants dont sont conscients depuis longtemps les médecins du travail.

L'approche organisationnelle du Burn out passe par un certain nombre de remises en question du groupe professionnel par lui-même. Parmi l'ensemble des questions, certaines apparaissent comme fondamentales. Nous en proposons cinq :

  1. Les objectifs et les responsabilités du service sont-ils suffisamment clairs pour chaque membre de l'équipe ?
  2. Pour les assumer les soignants ont-ils un soutien suffisant ? Sur le plan émotionnel ? Sur le plan hiérarchique ? Sur le plan médical ? (les soignants ont-ils la ou les formations ou informations suf-fisantes pour assumer leur rôle ?)
  3. Les rôles et les fonctions de chacun sont-ils suffisemment définis en particulier les autorités du service sont-elles assurées permettant à chacun s'assumer ses responsabilités ?
  4. L'organisation technique et l'ergonomie du service est-elle adaptée pour remplir ces fonctions ?
  5. Les moyens matériels et le personnel sont-ils actuellement suffisants ?

L'approche organisationnelle est fondamentale dans l'analyse du Burn out. Toute l'organisation du travail se doit d'être orientée vers l'humain et de permettre aux soignants de s'investir dans cette relation d'aide. Nous avons montré à quel point elle pouvait être complexe et usante. Les pertes de temps et d'énergie physique et psychique occasionnées par les multiples dysfonctionnements institutionnels retentissent inéluc-tablement sur les soignants et le malade. Dans ce sens le syndrome d'épuisement professionnel concerne tous les professionnels qui travaillent dans les hôpitaux. Administratifs et personnels de maintenance et d'entretien participent au bien-être des malades, en permettant un fonctionnement harmonieux de l'institution de soins. En réduisant les facteurs de stress liés aux dysfonctionnements organisationnels, ils permettent aux personnes ayant directement en charge le malade de donner le meilleur d'eux-même.

La (re)connaissance du Burn out ne doit pas être réservée aux seuls soignants. Les directions hospitalières, l'ensemble du corps administratif de l'hôpital doivent aussi connaître ce problème particulier.

La troisième direction est collective et pluridisciplinaire.

Le syndrome se situe à l'interface de nombreux champs de réflexion médicaux, psychologiques, éthiques, sociaux, ergonomiques. Dans l'étude du SEPS, les dimensions psycho-logique, médicale et éthique s'interpénètrent et peuvent se féconder mutuellement dans cette confrontation à un monde médical en changement. Ethique et psychologie sont dans ce domaine étroitement liées. La formulation d'un certain nombre de valeurs éthiques conduit à modifier des abords psychologiques et des comportements. Des con-naissances psychologiques permettent de comprendre les réactions humaines et d'avoir une communication plus adaptée à l'autre.

Le Burn out : un phénomène existentiel.

C'est une problématique existentielle, d'une part parce que les soignants sont confrontés à des souffrances existentielles des êtres qu'ils doivent soulager et d'autre part parce qu'ils souffrent eux-mêmes d'une crise d'identité. Ceci confère au Burn out un double statut de symptôme singulier et social.

Plusieurs constats s'imposent.

En devenant de plus en plus scientifique et efficace, la médecine renforce l'inacceptation de ses limites et rend encore moins tolérables la maladie et la mort.

La médecine moderne, dans une conception restrictive de techno-science, est tentée d'aller toujours plus loin de réussir encore plus de guérisons, de repousser encore plus les limites des possibles. Le médecin réussit souvent mais pas toujours. La mort est toujours là. Les progrès font oublier que la vie est vie et mort. Il est ainsi demandé à la médecine de répondre à des questions auxquelles elle ne peut donner de réponse. Les soignants sont emportés dans cette illusion mégalomaniaque et "invités" à tenir un rôle de toute puissance que la société « civile » leur demande de jouer.

Les hôpitaux sont devenus des ghettos pour la souffrance, la maladie et la mort. On entend souvent dans les services, les soignants affirmer "que l'état des malades pris en charge est de plus en plus grave". Cela semble vrai. C'est la double rançon de l'efficacité et du développement des soins ambulatoires pour des raisons économiques et de confort. Seuls sont hospitalisés les malades les plus graves ou ceux qui ne peuvent se soigner pour des raisons psycho-socio-économiques. Ce sont tous des patients difficiles et moins gratifiant en terme de réussite médicale ou humaine. Ceci augmente la charge de travail et tend à réduire les satisfactions pour les soignants.

Mais l'hôpital est devenu un ghetto pour les souffrances de l'existence car notre société s'est dangereusement cloisonnée. Dans une interprétation anthropomorphique, on peut dire qu'« elle » se décharge de ces drames sur « ses » soignants. Or, ce sont les drames normaux de l'existence humaine. Les soignants sont les seuls à être confrontés à ces souffrances lors de leur travail et doivent dès la porte du service franchie adopter l'apparente insouciance de la vie civile. Ils doivent affronter ces drames et vivre dans une société qui à force de vouloir se protéger a fini par rejeter la mort et les accidents de la vie dans les lieux spécialisés.

On peut envisager la crise identitaire et le Burn out comme l'équivalent d'un syndrome post-vocation. Les vocations, certains le regrettent, ne sont plus. Une de nos hypothèses est que la vocation, dans sa double dimension sociale et religieuse, possédait un fort pouvoir défensif vis-à-vis de l'épuisement émotionnel. La vocation de médecin, d'infirmière fait partie de l'imagerie populaire. C'était des soignants totalement dévoués à leurs malades, auxquels ils sacrifiaient toute vie personnelle. Solides et compatissants, capables de com-prendre et de soutenir toute détresse humaine jusqu'à en être presque inhumains tant ils frôlaient la sainteté, ces personnages ont quasiment disparu bien que chacun d'entre nous en connaissent encore. Comme le dit une des infirmières : "Le sacerdoce, on met l'habit et on flotte". Nous ne sommes plus dans des conditions sociales de soignants à vocation. Les valorisations ont changé. En disparaissant, la vocation a laissé les soignants nus sans protection et sans les bénéfices secondaires qu'elle apportait ne serait-ce qu'en termes d'admiration et de reconnaissance.

Le syndrome d'épuisement professionnel et la question éthique.

L'étude du Burn out en réanimation nous a conduit à rencontrer la question éthique à plusieurs niveaux. Le travail collectif et pluridisciplinaire mené en réanimation a nécessité de forcer des a priori de pensées et des habitudes de comportements. Les grands thèmes abordés sont des sujets placés sous le signe des limites de la médecine technique et des désespoirs thérapeutiques : la mort, la commu-nication avec les familles.

Au niveau individuel, le syndrome d'épuisement professionnel pose le problème de l'éthique de la relation d'aide. Comment être vis-à-vis d'autrui? Quelle distance établir pour apporter l'aide tout en étant respectueux de la personne et ne pas se consummer soi-même? Jusqu'où donner de soi-même? Dans quel esprit d'équité ? Le syndrome d'épuisement professionnel pose la question de la responsabilité, de la justice et finalement de l'amour. Il appelle nécessairement des réflexions psychologiques et philosophiques.

Sur un plan collectif, en mettant en évidence des dysfonctionnements dans le travail, le Burn out a conduit à soulever des questions éthiques fondamentales. Avec le problème de la communication avec les familles des enfants est apparu la question de la vérité au patient et à sa famille. Le paternalisme n'est plus compatible avec l'évolution de la médecine et des conscience. Les malades, la science médicale ont changé. Le modèle nord-américain de la transparence absolue n'est pas la seule alternative. En effet, non seulement il est actuellement incompatible avec notre culture, mais encore il présente des limites si l'on veut rester dans un principe moral de bienfaisance. Comme nous l'avons montré dans les exemples de transmissions de nouvelles aux parents, il n'est pas respectueux de l'affectivité de l'autre. Il faut inventer un paternalisme tempéré selon l'expression d'A. Fagot-Largeault. Cette troisième voie n'est pas la voie de la tranquillité. Elle ne peut se manifester par des attitudes stéréotypées. Elle est à adapter et à penser en fonction de chaque interlocuteur. C'est bien une éthique active et réflexive.

C'est une éthique à penser par les soignants eux-mêmes. "Il n'y a pas d'éthique en général" écrit A. Badiou. "Il faut rejeter le dispositif idéologique de l'éthique qui risque d'identifier l'homme à un simple universel mortel qui est le symptôme d'un inquiétant conservatisme qui par sa généralité abstraite et statistique interdit de penser la singularité des situations". Il est indispensable que les soignants eux-mêmes s'engagent et participent à l'élaboration de l'éthique médicale. Nous n'avons pas le droit d'esquiver la question.

En conclusion, malgré une apparente faiblesse épistémologique le Burn out syndrome présente de nombreux intérêts. Burnouté le sujet n'est pas un malade même s'il existe un risque de le devenir. Le Burn out préserve la normalité de la personne sans la suspecter d'un trouble de la per-sonnalité. Il est respectueux de l'être. Il est déontologiquement correct. Il est une manière discrète, élégante et éthique de parler de soi.

Le Burn out permet de reconnaître que le monde médical devient parfois un monde d'exception. Assumer plusieurs décès par semaine, poser des décisions d'arrêts thérapeutiques, être tout simplement confrontés à des "accidents de vie", participer aux progrès de la médecine et en vivre les échecs est lourd de conséquences. Le Burn out révèle un malaise existentiel singulier et social. En le posant ainsi il pose la question du sens de la vie.

Il décrit un phénomène psycho-logique particulier en décrivant la pathologie de la relation d'aide mais il permet de reconnaître la spécificité de la fonction. Expression d'une crise d'identité, il permet de signifier au soignant que le sens de son action, c'est l'autre, l'humain. Ce n'est pas seulement dans la technique que réside la valeur de l'acte. C'est aussi dans la relation. Le syndrome d'épuisement professionnel permet d'induire une réflexion sur le fonctionnement psychique de la relation d'aide et déconstuit le mythe du don gratuit de soi pour poser le problème en terme de justice et d'équité. Il permet d'affirmer qu'aller vers l'autre ne va pas de soi.

Il met aussi en valeur un paradoxe actuel. Notre médecine tremble devant l'économique et l'équilibre budgétaire. Et voici un état dont les conséquences coûtent vraisemblablement très cher et qui pose le problème de l'importance de l'acte de relation. N'est-il pas paradoxal de constater qu'au moment où une politique de santé semble s'orienter vers une approche comp-table, le syndrome d'épuisement professionnel nous ramène au problème de la relation à autrui et à la complexité de la relation d'aide ? Ainsi, parti d'une analyse sociale en extériorité, rejoignant des préoc-cupations économiques en termes de coût, d'absentéisme, d'inefficacité au travail, le Burn Out syndrome nous ramène au cur de la fonction soignante, de la relation d'aide. C'est la relation à l'autre qui fait la grandeur et la difficulté de la profession de soignant.

Certe, le syndrome d'épuisement professionnel est un "entre deux" mais c'est justement grâce à cela qu'il est si utile. Il est au coeur de la vie dans cet entre-deux entre monde intérieur et monde extérieur, entre je et tu, entre le normal et le pathologique, entre le psychologique et l'éthique, entre la naissance et la mort.

Dans cette confrontation avec l'autre en souffrance, au sein de tant de situations complexes et angoissées, aux portes de la mort, voilà un syndrome qui force à découvrir des sens insoupçonnés et de peut-être faire d'un malaise une crise structurante.

Pierre Canoui

Ce texte fait partie d'un ouvrage de Pierre Canoui, Aline Moranges et Anne Florentin, Le syndrome d'épuisement professionnel des soignants. De l'analyse du Burn out aux réponses, éditions Masson (parution prévue octobre 1998).


1- Veil C., Les états d'épuisement, Concours médical, 1959, 2675-2681.

2- Rodary C, Gauvain-Piquard A.et coll., Stress et épuisement professionnel, Objectifs Soins, 1993, 16-26-34.

3- Canoui P. Approche de la souffrance des soignants par l'analyse du concept de l'épuisement professionnel. Le burn out. Considérations psychologiques et éthiques en réanimation pédiatriques. Thèse de doctorat d'université en éthique médicale et santé publique. Université Descartes. Paris V 1996.

4- Estryn-Béhar M. Travailler à l'hôpital. Berger-Levrault. Ed.Paris , 1989.

5- Lidvan-Girault N., Burn Out : émer-gence et stratégie d'adaptation. Le cas de la médecine d'urgence. Thèse de doctorat Université R.Descartes. Paris. 1989.

6- Lidvan-Girault N., Méthodes d'éva-luation de l'épuisement professionnel. Limites et perspectives. Psychiatrie Française, 1996 ; 2 : 30-39

7- Maslach C., Jackson S.E.-Maslach Burn Out Inventory, Consulting psychologist press, Palo Alto, 1896

8- Maslach C., Schaucheli W-Historical and conceptual development of burnout Professionnal Burnout : Recent developments in theory and research. Ed. by Schaufeli W., Maslac C. Marek T.New-york, Taylor and Francis 1993.