Andrea Bellia

Histoire et liberté ou l'histoire de la liberté. Une analyse reflexive

1. Introduction

S'arrêter un instant à penser la liberté signifie disposer librement d'un acte -- acte pensant -- auquel on attribue une orientation précise.

La réflexion sur la liberté en soi est déjà acte second par rapport à la liberté même du sujet pensant, qui oriente de façon autonome sa propre réflexion.1

En considérant le retour de la liberté sur elle-même, nous nous situons sur le plan métaphysique, pour rechercher le sens ontologique de la liberté même. C'est là non seulement notre intention, mais aussi une tentative de réponse aux possibles défis qui s'adressent à l'homme face au problème de la liberté.

Quelle liberté pour l'homme, si, dans l'histoire, c'est la nécessité plutôt que la contingence qui domine ?

Une lecture à reculons de notre histoire nous permet de considérer chaque événement vécu, comme caractérisé par une certaine nécessité relationnelle et intrinsèque. L'évidence des faits vécus est si forte dans notre esprit que nous entendons cette évidence comme synonyme de nécessité, presque comme un « devait-être ». Mais est-ce que nous sommes là devant une suggestion d'ordre psychologique, ou bien est-ce que nous essayons d'interpréter philosophiquement le sens de l'histoire dans son acception métaphysique ? Si certaines implications de la première hypothèse ne sont pas à écarter, il est souhaitable d'avancer des arguments sérieux sur la seconde. Nous devons alors concentrer notre attention sur la nature de l'événement et sur ses défis pour la volonté de l'homme engagée dans liberté.

Notre analyse doit ensuite nous conduire à évaluer si le possible « doit-être » de l'événement encore en puissance obligerait ou pas le « je dois » du sujet agent, en conditionnant ainsi son statut moral.

Pour ce parcours nous utilisons une analyse régressive à travers laquelle nous allons remonter de ce qui est donné jusqu'à sa cause efficiente ou aux conditions réelles de sa possibilité.

2. La nature de l'événement

L'événement, ce qui est arrivé, a eu lieu et ne peut ne pas avoir eu lieu.2 Cet événement se place devant nous comme l'ineffaçable, un être en soi. L'événement se présente

à notre mémoire comme chargé de toute sa puissance ontologique, car ce qui a eu lieu, avait aussi la capacité de se poser en être et donc d'exister. Nous pouvons en déduire que, tout au moins, l'événement existait forcement en puissance et nous devons maintenant savoir s'il devait aussi être nécessairement en acte. Mais si nous affirmons que, par la liberté de l'homme, tous les choix sont possibles et donc que tous les événements en puissance peuvent passer à l'acte, nous disons aussi qu'en puissance tout existe à l'infini. Or l'expérience concrète démontre que le nombre infini d'événements en puissance ne passe pas à l'acte, car ce serait absurde et inconcevable, mais seulement certains d'entre eux. Parmi ceux-ci, quels sont ceux qui sont totalement exempts de relations, même lointaines et oubliées, avec des nécessaires dépendances historiques ?3

Mais réfléchissons à propos des événements mis en acte ne tenant pas compte pour l'instant, des implications possibles de la liberté humaine.

Un événement en puissance, avant d'être en acte, est de l'ordre du « peut-être-en-acte » ou du « doit-être-en-acte ». Mais, à partir du moment où la notion du « peut-être » exprime aussi la possibilité de ne pas être, il faut en conclure que l'événement en acte, avant d'être tel était seulement de l'ordre du « doit-être-en-acte » et donc nécessaire. Nous pouvons alors affirmer que, parmi les événements en puissance, un très grand nombre est de l'ordre du « peut-être », tandis que seul un nombre limité est de l'ordre du « doit-être ». L'ordre du « peut-être », est en soi hypothétique, il n'existe que dans le domaine de la spéculation philosophique et non dans la réalité, car du fait d'être de l'ordre du « peut-être-en-acte », un événement en puissance est aussi de l'ordre du « peut-ne-pas-être-en-acte », mais ces deux forces égales et opposées s'annulent de sorte que l'événement n'existera jamais en acte. Pour qu'il puisse exister en acte, il est nécessaire que l'événement en puissance soit plus de l'ordre du « peut-être-en-acte » et moins de l'ordre du « peut-ne-pas-être-en-acte ». Mais un tel événement en puissance est déjà de l'ordre du « doit-être-en-acte », si bien que la contingence n'est qu'une donnée de la construction philosophique et non une possibilité réelle.

Il est vrai que dans ce discours, nous ne considérons que des événements en soi, sans intervention de causalités externes capables d'induire en acte même des événements en puissance, pourvus à la fois du « peut-être-en-acte » et du « peut-ne-pas-être-en-acte », mais ces causalités sont elles aussi des événements auxquels nous devons attribuer toute la réflexion précédente.

Si quelques événements en puissance sont de l'ordre du « doit-être-en-acte », étant conditionnés par des causalités déterminées, ils le seront en vertu de celles-ci et ne pourront pas ne pas l'être. Nous sommes là devant la nécessité et les causalités, en tant qu'événements en soi, seront d'après ce discours, des nécessaires conditionnements d'autres causalités et ainsi de suite jusqu'à l'infini.4

Si tous les événements en acte, avant de l'être étaient de l'ordre du « doit-être », nous devrions arriver à la conclusion dramatique selon laquelle l'histoire avance caractérisée par la nécessité et non par la contingence. Quel espace alors pour la liberté de l'homme ? Pourtant il éprouve parfois dans son for intérieur la déchirante contrainte de devoir opérer des choix, étant constamment placé devant de multiples alternatives. L'homme semble confiné à une existence inauthentique, car si, d'une part, il est l'arbitre de son destin et appelé à tout instant à autodéterminer son histoire, d'autre part, il se sent impuissant devant la force des faits auxquels il n'arrive pas à échapper.

Si, nous référant à un événement qui a eu lieu, il est impossible de dire q'il n'a pas eu lieu, comment un individu peut-il affirmer qu'il aurait pu opérer le contraire de ce qu'il a opéré ? Selon quelle volonté déterminante ?

Dire qu'un événement qui de fait n'a pas été posé, aurait pu être posé et vice-versa, signifie affirmer a posteriori une possibilité uniquement hypothétique. La réalité de l'acte accompli impose une force telle à n'admettre aucune possibilité antécédente capable de la démentir.

A ce point, notre réflexion semble pouvoir avancer l'hypothèse que tout ce qui a eu lieu ne peut pas ne pas être conçu sans nécessité, tandis que tout ce qui va avoir lieu ou qui aura lieu est hypothétiquement contingent mais se réalisera à chaque instant selon une nécessité conférée par la volonté déterminante de l'homme. Nous devons maintenant clarifier si cette volonté qui confère la nécessité à l'acte est le résultat d'une force inéluctable ou bien si elle peut s'affirmer souveraine au delà de toute loi déterministe.

Si la volonté peut jouir d'une maîtrise absolue envers une causalité quelconque, nous pouvons alors affirmer que l'histoire passée est caractérisée par la nécessité, parce que voulue d'une manière et non d'une autre. Ce qui a eu lieu nécessairement a eu raison d'être, parce que librement voulu. L'homme se découvre alors véritablement fait à l'image de Dieu, étant capable de créer l'histoire pourvue d'une nécessité ontologique.

Chaque instant d'histoire que l'homme construit est en soi nécessaire, car ainsi voulu et créé moyennant le recours à la liberté. Chaque instant que l'homme doit encore construire est par contre contingent, contrairement à tout ce qui pouvait paraître impossible précédemment, parce que la capacité créatrice de l'homme, quasi ex nihilo par rapport à l'histoire, n'était pas considérée. La responsabilité qui pèse sur la volonté de l'homme est vraiment énorme, de là dépend en effet tout ce qui viendra à l'effectivité.5

3. De l'événement au sujet

La réflexion menée jusqu'ici, nous a conduits à conclure que la nécessité dont est constitué l'événement qui a eu lieu ou l'événement en acte, est conférée par la libre volonté déterminante de l'homme. Partant de cette proposition, deux concepts nous semblent fondamentaux pour rechercher maintenant les conditions de possibilité de l'événement qui doit encore se produire : la liberté et la volonté. C'est sur ces deux postulats que se fonde la contingence de l'histoire avant sa réalisation factuelle.

La productivité de la conscience ou bien la cause première de tout événement en acte s'exprime grâce au recours incessant à la liberté, en tant que potentialité infinie d'actes qui, moyennant l'impulsion de la volonté, attestent continuellement l'existence réelle de la productivité même.6 La volonté est alors ce qui rend manifeste l'exercice sélectif de la conscience envers la liberté, dans le devenir continu de l'histoire. Ce n'est que par la volonté (et pour un engagement éthique, une volonté fortifiée de responsabilité) qu'un acte est mis à la place d'un autre, et ainsi de suite, à chaque instant du devenir continu de l'histoire. Dire « exercice sélectif envers la liberté » équivaut à l'emploi de la volonté et donc de l'action, bien que, pour quelques instants, tout puisse rester limité dans le cadre de la conscience.

L'absence totale d'exercice sélectif envers la liberté, même si ce n'est pas nécessairement pour des raisons d'ordre éthique (la responsabilité morale n'est pas le seul mobile de l'action humaine) mais simplement par impuissance à discerner sur l'opportunité d'accomplir un geste à la place d'un autre, représenterait un immobilisme, ce qui est possible pour un temps limité dans notre réalité physique (vu les directions infinies vers lesquelles je peux déplacer mon bras, il n'est pas exclu que je ne bouge pas du tout et que je reste donc parfaitement immobile) mais impossible, même pour un seul instant, dans la réalité de notre conscience (comment arrêter les flux ininterrompus de mon esprit ? au cas où je déciderais pour un instant de ne pas penser -- en admettant que ce soit possible -- j'ai déjà opéré un choix sélectif envers la liberté, ultime et extrême, parce qu'il équivaudrait à la suppression volontaire de la vie).

L'histoire avance dans un devenir incessant et se prépare dans la dynamique interne du devenir de la conscience de chacun. Il faut cependant tenir compte d'une certaine réciprocité : le devenir de ma conscience détermine le devenir historique de ma vie, de même que le devenir historique de ma vie, ouverte à la relation infinie et hétérogène avec la réalité qui m'est extérieure, conditionne le devenir de ma conscience. Mais un devenir conditionné de la conscience n'est-il pas aussi cause d'un devenir historique conditionné ? Et si nous pouvons dire de même en sens inverse, ne sommes-nous pas devant un processus qui avance comme une spirale infinie où tout mouvement circulaire successif est préparé presque mathématiquement par le mouvement circulaire précédent ? Sommes-nous alors condamnés à un déterminisme historique dont la vie de la conscience ne peut sortir indemne ?7

Il nous semblait pouvoir nous libérer de la menace de la nécessité en détournant notre attention de l'événement pour la porter au sujet, en attribuant à ce dernier une capacité créatrice infinie -- relativement à l'histoire -- libre de toute contrainte extérieure, mais c'est justement ce mouvement de réflexion vers le sujet qui nous a révélé certaines difficultés précédemment non considérées et pour lesquelles maintenant un approfondissement réfléchi s'impose.8

4. La nature du sujet auteur de l'événement

Le problème du conditionnement, qu'il soit de l'histoire ou de la conscience, semble mettre sérieusement en discussion la liberté du sujet relativement à l'histoire. C'est pourquoi il nous semble opportun de devoir reconsidérer les deux postulats du paragraphe précédent -- liberté et volonté -- auxquelles on attribuait la possibilité du passage à l'acte de l'événement en puissance. A ce propos, il est important de souligner le terme « possibilité », parce que l'événement a été reconnu comme non nécessaire, pendant le temps qu'il demeure en puissance, et nécessaire à partir du moment qu'il est mis en acte.

La découverte d'un conditionnement actif doit maintenant nous faire réfléchir davantage sur les deux concepts de liberté et volonté, afin d'expliquer la part qu'ils prennent dans notre démarche argumentative.

D'après ce qui a été dit précédemment, la liberté n'est que la capacité infinie de la conscience à pouvoir poser les actes par impulsion de la volonté, qui à chaque instant intervient sélectivement envers cette capacité.9

Abstraction faite de la conscience, nous dirons que la liberté est simplement une possibilité infinie, une potentialité infinie, expressions qu'il faut considérer comme de purs concepts.

La liberté est une réalité statique, abstraite, tandis que la volonté, réalité essentiellement dynamique, s'exprime de façon concrète en recourant à la liberté même.

Sans une volonté agissant sélectivement, on ne connaîtrait aucune possibilité de pouvoir agir d'une façon différente de celle réalisée par la sélection de la volonté même. En d'autres termes, l'existence de la liberté est affirmée par l'existence de la volonté. Alors, dans le cas où, chez un sujet la volonté serait absolument absente (hypothèse impossible même en présence d'une volonté fortement conditionnée ou irresponsable, puisque ces situations ne signifieraient pas l'absence de volonté), même la liberté serait en lui comme inexistante, car elle serait ce qu'elle est en faisant abstraction de la volonté : une réalité statique et sans vie. Tel serait aussi le sujet en absence de volonté.

La liberté est un pur concept grâce auquel la volonté existe non seulement comme volonté déterminante (c'est-à-dire comme action), mais aussi comme « volonté voulante ».

Grâce à la liberté, en ce moment précis, je veux X au lieu de Y ; sans la liberté en ce moment précis, je dois X et non Y. Mais attention, que l'on ne pense pas à l'existence de moments où la liberté est absente, parce que les deux termes de notre réflexion -- liberté et volonté -- sont, oserai-je presque dire, ontologiquement unis par un rapport d'interdépendance, tandis qu'ils sont conceptuellement distincts. L'exemple cité ci-dessus « X au lieu de Y » et « X et non Y » rend plus claire la distinction conceptuelle.

Comme nous avons déjà écarté l'existence d'un sujet totalement sans volonté, ainsi devons-nous exclure l'existence d'un sujet totalement sans liberté. L'événement, en tant que produit de l'action humaine, sera toujours le résultat de ces deux facultés dont le sujet se sert continuellement pour construire l'histoire. Il s'agit maintenant de voir jusqu'à quel point les conditionnements évoqués ci-dessus, s'imposent à ces deux facultés au point de déterminer presque impérativement le déroulement successif des événements.

Si nous considérons la liberté en soi, comme elle a été conçue dans cette réflexion, alors nous pouvons immédiatement nier n'importe quelle influence de conditionnement qui puisse en troubler le caractère propre.

La liberté a été conçue comme un pur concept, et comme telle elle jouit de la même pureté propre à la nature du concept même. Dans le cadre de la philosophie première, abstraction faite de tous les accidents possibles, ce n'est que le concept d'être en tant qu'être qui demeure comme réalité en soi non conditionnée, car sinon nous retomberions dans la considération de l'intervention des accidents en ignorant le parcours demandé par l'abstraction métaphysique. Or si le concept d'être est en soi pur, et comme tel non susceptible de conditionnement, d'autant plus le concept de liberté ! Précédemment, nous avons en effet considéré la liberté comme « possibilité infinie », « potentialité infinie », et cela toujours relativement à quelque chose qui peut être mis en acte, et bien sûr moyennant la volonté. Mais si ce « quelque chose » est déjà l'être des métaphysiciens, alors nous devons conclure que le concept de « liberté » précède celui d'être. La liberté est donc l'a priori de toute ontologie. L'être en soi,10 a comme fondement une liberté originaire, la même liberté justifiée par les arguments de la théologie chrétienne de la création.

Mais nous revenons au sujet. Il est nécessaire de purifier notre langage, notre façon commune de penser ; des expressions comme « ma liberté est liée, je n'ai aucune liberté, ma liberté est conditionnée, etc...  » sont intrinsèquement fausses pour les raisons que nous venons d'exposer.

Le sujet doit être conscient que la liberté à laquelle il doit faire appel ne subit aucune affectation : l'orientation de la conscience ou l'intentionnalité devrait en montrer toute la maîtrise.

L'« option fondamentale » des moralistes manifesterait pleinement toute la pureté d'une volonté agissante, dans le cas où les vices inhérents à la même volonté n'interviendraient pas pour en voiler l'image. C'est donc la volonté qui subit le conditionnement et non la liberté.

Une volonté alourdie par l'anxiété, la peur, les préjugés (personnels ou imposés) et d'autres éléments possibles dans la dynamique de la vie psychologique, au lieu d'agir sélectivement envers la liberté selon un critère dicté par l'intelligence personnelle, obéit aux éléments mêmes qui l'alourdissent. C'est là le vrai drame existentiel de l'homme : le recours difficile à une volonté à l'état pur.

Le « je dois » du sujet agent doit être un acte second par rapport au « je veux » et jamais vice-versa, sinon on se trouverait devant un causalisme extrinsèque au sujet même. Pour que la conscience reste toujours la cause originaire de toute volonté, il est nécessaire que celle-ci, animée par le courage de l'authenticité, opère sélectivement envers la liberté en rupture totale par rapport à tous les conditionnements possibles. Or la production de la volonté issue de la conscience et son action sélective envers la liberté, doivent être considérés sans aucune succession temporelle. Ces deux moments, exprimés en succession pour des raisons d'ordre logique, sont de fait le seul événement provenant de la causalité originaire de la conscience.11

Le sujet réellement libre est celui qui, « s'étant mis en rupture », affirme son autonomie et indépendance, sollicité par l'intelligence, la responsabilité morale et par tout critère de jugement strictement personnel. Dans ce cas, le sujet pourra s'exprimer ainsi : « Je veux... donc je dois ». De même que dans le cas de la nécessité physique, par l'obligation morale l'homme libre fait de nécessité vertu en assumant volontairement ce qu'il ne peut pas ne pas faire.

5. Conclusion

Les apories apparentes qui se sont présentées tout au long de notre réflexion, ont trouvé au fur et à mesure les clarifications voulues de façon à faire avancer le discours entrepris et à éliminer en même temps l'inquiétude dérivant de la question posée dès le début. A ce propos, nous sommes parvenus à nier n'importe quelle menace de nécessité qui puisse s'imposer à la libre action de l'homme. L'histoire avance constamment au-delà de tout déterminisme mécaniciste.

L'événement est toujours un produit de la volonté par la liberté du sujet agent et en tant que tel, il est en soi contingent jusqu'au moment où l'acte volitif du sujet même, le choisissant parmi les événements contingents infinis, ne le porte pas à l'effectivité lui attribuant la nécessité ontologique dont il n'était pas pourvu précédemment.

La dynamique de la vie psychologique de chacun ou les mouvements intérieurs de l'âme n'obéissent à aucune loi mathématique. L'évolution de l'histoire n'est pas pour autant programmée ou programmable a priori. Cependant il existe des conditionnements capables d'influencer le cours de l'histoire, mais ils se situent au niveau de la volonté et jamais au niveau de la liberté.

L'homme ne pourra se considérer comme réellement libre de se servir d'une volonté à l'état pur qu'après s'être mis en « rupture » par rapport aux conditionnements évoqués ci-dessus.

Étant parvenus à ce point de notre itinéraire spéculatif, nous devons tout de même reconnaître que tant le rapport d'analogie existant entre les concepts de « liberté » et d'« infini », que la question éthique de la « responsabilité » auraient mérité un approfondissement théorétique. Un développement proprement théologique aurait pu considérer le rapport entre « Providence », « volonté de Dieu » et « volonté de l'homme ». Ne pouvant pas épuiser en quelques lignes la richesse de ces thématiques, nous n'excluons pas la possibilité d'une prochaine et plus vaste exploration.

Copyright © 2003 Andrea Bellia

Andrea Bellia. «Histoire et liberté ou l'histoire de la liberté. Une analyse reflexive». Dialegesthai. Rivista telematica di filosofia [in linea], anno 5 (2003) [inserito il 30 ottobre 2003], disponibile su World Wide Web: <http://mondodomani.org/dialegesthai/>, [32 KB], ISSN 1128-5478.

Note

  1. Notre réflexion trouve sa source inspiratrice dans la lignée de la philosophie réflexive. Ce courant philosophique amorcé par Maine de Biran, eut une production fleurissante pendant l'entre-deux guerres, pour décliner ensuite. Des philosophes de grande valeur comme Brunschvicg, Lachelier, Lagneau, Lavelle, Lequier, Madinier, Marc, Ravaisson et autres, ont pu se distinguer par leurs orientations, styles et méthodes. Nous ne pouvons pas nous empêcher de citer en outre Jean Nabert, auteur de La philosophie réflexive, in Encyclopédie Française, T. XIX, Société Nouvelle de l'Encyclopédie, Paris 1957 ; et de L'expérience intérieure de la liberté, Presses Universitaires de France Paris 1994, thèse de doctorat publiée à la mémoire d'Arthur Hannequin, son maître à la faculté de Lyon où il fut étudiant.

  2. Nous entendons par événement seulement le produit de l'agir humain et non pas ce qui en est indépendant comme par exemple un orage, un coucher de soleil, un tremblement de terre, etc.

  3. A première vue, semble par là vouloir affirmer l'existence d'un déterminisme psychologique manifeste ou caché dans notre inconscient comme étant la source de l'agir humain. Un acte accompli alors ne serait pas le produit d'une libre cause du sujet agissant. Comme Nabert l'a aussi bien exprimé, si la causalité passe à l'inconscient et si cet inconscient est l'équivalant d'une force évolutive, la décision se fait en nous plutôt que par nous. « Mais nous ne sommes pas disposé à superposer au déterminisme psychologique une organisation rythmique des moments de la conscience : nous redouterions qu'elle ne fût soit un déterminisme infiniment subtil, soit un devenir où la causalité de la conscience se confond avec la force qui anime tout le courant ». Cf. L'expérience intérieure de la liberté, o. c., p. 96. Des arguments assez rigoureux pourront soutenir davantage la volonté de réfuter une possibilité déterministe.

  4. Pour Spinoza, toute l'histoire avance par nécessité, elle est le produit de causes antérieures le plus souvent inconnues : « Les hommes ils se trompent quand ils se croient libres ; car cette opinion consiste en cela seul qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes qui les déterminent. Leur idée de la liberté consiste donc en ceci qu'ils ne connaissent aucune cause à leur action ». Cf. Spinoza, Éthique, II (proposition 35, scolie), Presses Universitaires de France, Paris 1990, p. 134. Pour Nietzsche, l'idée de liberté est une illusion métaphysique qui repose sur un aveuglement quant à la causalité : « La croyance à la liberté de la volonté est une erreur originelle de tous les êtres du règne organique, aussi ancienne que les tendances logiques qui existent en eux ». Cf. Humain trop humain, Gallimard, Collection Folio, vol. I, Paris 1968, p. 45.

  5. « L'homme étant condamné à être libre, porte le poids du monde entier sur ses épaules : il est responsable du monde et de lui-même en tant que manière d'être ». Cf. J.-P. Sartre, L'être et le néant, Gallimard, Paris 1943, p. 639.

  6. Dans L'expérience intérieure de la liberté, Nabert revient avec insistance à l'idée selon laquelle dans le plus profond de nous-mêmes, retentit une causalité de telle sorte que quoi que nous fassions, elle demeure transcendante par rapport à l'acte volitif. En voulant situer cette transcendance relativement à l'acte, dans le but de saisir le sens d'une possible liberté humaine, une difficulté se pose. En effet peut-on dire que cette causalité est transcendante parce que distinguée de la conscience, elle s'impose à celle-ci tout en restant au delà, ou bien parce que malgré une immanence à la conscience même, presque à s'y identifier ontologiquement, elle demeure le mystère originaire qui la dépasse et qui est à la fois la source séparée de tout acte volitif ?

  7. Apparemment ce rapport d'interdépendance conditionné entre conscience et histoire, semble nous faire retomber sur la logique de la nécessité. Telle est la vision de Hobbes quand il affirme que : « Étant donné que tout acte d'une volonté humaine, tout désir et toute inclination procèdent de quelque cause, et celle-ci d'une autre, selon une chaîne continue [...], ces actions procèdent aussi de la nécessité. C'est pourquoi à celui qui pourrait voir la connexion de ces causes, la nécessité de toutes les actions volontaires des hommes apparaîtra clairement ». Cf. Léviathan (1651), trad. F. Tricaud, Sirey, Paris 1971, p. 223.

  8. « L'expérience de la liberté ne peut être qu'un travail d'approfondissement interne d'analyse destiné à rejoindre la causalité du sujet par la découverte des catégories de la conscience agissante ». Cf. Nabert, L'expérience intérieure de la liberté, o. c., p. 146.

  9. « La volonté est une sorte de causalité qui appartient aux êtres vivants en tant qu'ils sont raisonnables et la liberté serait la propriété qui aurait cette causalité de pouvoir agir indépendamment de causes étrangères qui la détermineraient ». Cf. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, "Œuvres Philosophiques" II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris 1985, p. 315.

  10. Nous entendons par là l'être créé.

  11. Par un redoublement de la réflexion sur tout acte accompli, conformément à la méthode nabertienne, nous avons abouti à une causalité pure qui trouve sa demeure dans le mystère insondable de la conscience et qui échappe pour autant à n'importe quelle loi scientifique ou simplement évolutive. « Par ce redoublement de l'acte dans une réflexion qui s'approprie la causalité de la conscience, naît une croyance qui raconte l'histoire de notre liberté ». Cf. Nabert, L'expérience intérieure de la liberté, o. c., p. 138.

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